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HISTORIQUE

Aux origines : le soufisme


Tout en demeurant attachée à la loi islamique, le mysticisme musulman ou soufisme (al-tasawwuf) vise une approche sensitive et charnelle de la foi à travers une méthode théorique et pratique enseignée par des maîtres (chaykh-s) pour vivre l’expérimentation de l’union avec Dieu au cours de la vie terrestre. Rappelons que la Révélation coranique et le modèle prophétique ont tout deux porté les germes féconds de la mystique. Le Coran n’appelle pas seulement l’homme à se détacher du monde et à se consacrer à l’adoration, il l’incite aussi à cheminer sur la « voie » (al-tarîqa) qui le mène vers Dieu, seul et unique détenteur de la sainteté (al-walâya). La Tradition prophétique nous transmet l’image du Prophète qui, comme tout guide spirituel, se tourne à la fois vers Dieu et les hommes. Il est le modèle parfait du maître qui se consacre aussi bien aux veillées de prières, au jeûne et à l’invocation qu’aux activités quotidiennes avec les siens, au coté de ses compagnons face aux ennemis. Le nom même de « compagnon » (al-sâhib) traduit l’importance du compagnonnage (al-suhba) sans lequel on ne saurait comprendre le soufisme. Adhérer à l’enseignement d’un maître, vivre auprès de lui, l’écouter et se sentir lié par la fraternité avec ses condisciples, telles sont les notions fondamentales du compagnonnage. Les grands maîtres du soufisme ont prôné des voies différentes, certains se sont tournés vers la connaissance métaphysique (Junayd, Ibn ‘Arabî), d’autres vers l’ivresse et l’amour (Hallâj, Rûmî). Dans tous les cas, la pratique du soufisme nécessite de respecter deux types d’impératifs : les rites obligatoires imposés à tous les musulmans et les rites surérogatoires à destination des seuls initiés. Lorsqu’un aspirant s’engage dans le mysticisme, il lui faudra acquérir par le biais de cette pratique une nouvelle dimension intérieure, une qualité supplémentaire attribuant une certaine profondeur ésotérique aux actes rituels qu’il accomplissait jusqu’ici de façon plus ou moins récurrentes, ou avec plus ou moins d’investissement spirituel. Le disciple qui vise la réalisation spirituelle doit apprendre à se transcender lui-même. Pour cela, il lui faut suivre une discipline établie par un chaykh qui ajoute à l’autocontrôle des pulsions de l’ego (al-nafs) un ensemble d’invocations et de prières surérogatoires (dhikr-s, wird-s et hizb-s) pour atteindre, par étapes successives, celle de l’anéantissement de son être dans l’Unicité divine (al-fanâ’ fî al-tawhîd), manifestant ainsi sa rencontre avec la Vérité (al-haqq).
Les doctrines établies par les maîtres soufis à destination de leurs partisans englobent, d’une part, des recommandations morales, éthiques et comportementales, et, d’autre part, des récitations de litanies spirituelles au moyen d’un chapelet et des enseignements métaphysiques théoriques. Ces doctrines forment un « code de vie » qui doit permettre au fidèle de demeurer perpétuellement en présence de Dieu. Certaines autorisent la mise en scène de pratiques artistiques et musicales telle que l’audition (al-samâ’) de cantiques et les danses de la Présence (al-hadra) provoquant chez les fidèles des phénomènes d’extase (hal), et de transe. Pendant de longs siècles on ne parle pas ou peu d’ordres religieux, mais plutôt de compagnons et de disciples de tel ou tel maître. Se faire compagnon d’un guide spirituel et s’affilier à une confrérie, c’est en un sens recréer le compagnonnage idéal modélisé par le Prophète entouré de ses premiers disciples.

Le soufisme au Maghreb


Identifiés d’abord au Maroc au 12ème siècle, les premiers mystiques se répandent très vite dans tout le Maghreb. A l’inverse de l’Orient où le parcours initiatique se vit au sein des confréries naissantes, en Occident le mysticisme ne connaît pas encore l’apparition de voies initiatiques particulières ni d’ordres à proprement parler. Mais à travers les régions du Maghreb et de l’Andalousie apparaissent des réseaux de maîtres et de disciples qui deviendront plus tard les confréries. Les premiers ascètes qui se lancent à la recherche de la connaissance divine réalisent une pérégrination spirituelle (al-siyâha) à travers villes et campagnes qui entraîne une transformation totale de leur être. Certains choisissent de vivre isolés du monde et se retirent dans des lieux reculés, mais la plupart ont une vie familiale et une vie sociale : ils établissent une demeure gérée par les membres de leur famille et y accueillent les visiteurs de passage et des disciples. C’est avec l’écrivain, savant et poète ‘Abû Madyan Chu’ayb Ibn al-Hussein dit « Sîdî Boumediène » que s’annonce réellement le soufisme maghrébin. Sîdî Boumediène n’est pas l’instaurateur d’un ordre déterminé mais représente une source d’enseignement dont les multiples ramifications couvrent le Maghreb et une partie du Moyen Orient. Cet andalous originaire de Séville est initié à la mystique au Maroc par ‘Abû Ya’za al-Hazmirî, ‘Ali Ibn Herzihim (connus sous les noms de Moulay Bu’aza et Sîdî Harazem), puis en Orient auprès d’élèves de Junayd et de Ghazâlî. Il y rencontre, semble-t-il, des maître Irakiens comme ‘Abd al-Qâdir al-Jîlanî. De retour au Maghreb, il s’installe à Bejaïa en Algérie et y dispense son enseignement qui représente une « synthèse du mysticisme maghrébin, andalous et oriental ». Il meurt à Tlemcen en 1198 sur le parcours qui le mène de Bejaïa au Maroc pour répondre à la convocation du sultan Almohade Ya’cûb al-Mansûr, inquiet de son influence croissante. Parmi ces nombreux disciples venus d’horizons divers, certains partent essaimer sa doctrine en Egypte et au Moyen Orient, d’autres comme Ibn Machîch et Al-Châdilî propagent sa pensée à travers tout le Maghreb. Né en 1197 au Maroc, ‘Abû Hassan al-Châdilî chercha le Pôle spirituel de son temps en Irak, avant de le trouver près de chez lui, dans le Rif marocain, en la personne de ‘Abd al-Salâm Ibn Machîch (m. 1228). Cet ermite, dont le sanctuaire au sommet d’une montagne est toujours un lieu de pèlerinage, est considéré comme le « pôle occidental » du soufisme (par opposition à ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî, le « pôle oriental ») et s’inscrit dans la lignée de ‘Abû Madyan. Châdilî s’installa en Ifriqiya (l’actuelle Tunisie) avant de s’exiler avec quelques-uns de ses élèves en Egypte, où il meurt en 1258, accusé d’organiser des troubles et chassé de Tunis sous la pression de quelques religieux officiels, Abû Hassan al-Châdilî connu cependant un grand succès par son orthodoxie associée à une grande ferveur mystique. Sa confiance en Dieu s’exprime par une insistance sur le détachement de toute préoccupation autre que la connaissance de la Vérite. Au siècle suivant, l’ensemble du Maghreb connaît d’importants bouleversements : désorganisation politique, percée des Portugais sur la côte ouest de l’Afrique, déclin du commerce. Une vaste quête de la bénédiction (al-baraka) anime toute la société marocaine. Le profil de la Châdiliyya se modifie sous la démarche de certains chaykh-s qui se proclament d’ascendance chérifienne. Les disciples des confréries se mobilisent autour de ‘Abû ‘Abdallah Muhammad al-Jazûlî (m. vers 1470), chaykh de la Châdiliyya du sud-ouest marocain. Ce descendant du Prophète est l’instigateur d’un mouvement de dévotion qui vise à diffuser la bénédiction divine (al-baraka) sur le plus grand nombre de fidèles. Il crée la première grande tarîqa maghrébine, la Châdiliyya-Jazûliyya, concurremment la tarîqa Qâdiriyya qui se réfère à ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî. Son recueil de prières intitulé le Guide des œuvres de bien (Dalâ`il al-khayrât) devient rapidement l’ouvrage de référence du soufisme maghrébin. Hormis la réforme de Jazûlî, le 15ème siècle ne suscite que des prolongements des voies antérieures. La majorité des confréries maghrébines sont fondées au Maroc entre le 16ème et le début du 20ème siècle. Voici les plus connues (liste non exhaustive) : Aïssâwiyya (15ème siècle), Cherqâwiyya (17ème siècle), Nassiriyya (17ème siècle), Tay¬biyya (17ème siècle), Hamdûchiyya (17ème), Râziyya (17ème), Sâdkiyya (18ème), Jîlaliyya (18ème siècle), Hansaliyya (18ème), Darqâwiyya (18ème), Tijâniyya (19ème), Bwazawiyya (19ème), Kettâniyya (19ème), ‘Alawiyya (Algérie, début 20ème) et Qâdiriyya-Bûchichiyya (fin 20ème).

Toutes ces confréries possèdent des doctrines fondées sur la loi islamique. Cependant les stratégies d’extension des chaykh-s les ont contraints à accepter l’affiliation des disciples issus de toutes les catégories sociales, chacun enrichissant les doctrines originelles de diverses pratiques rituelles locales (danses d’extase, exorcisme et culte des démons). La confrérie des Aïssâwa, qui traverse pourtant toutes les couches sociales, reste systématiquement considérée comme une confrérie populaire à cause des rituels de possession pratiqués par certains de ses disciples, à l’inverse d’autres comme la Darqâwiyya, la Tijâniyya et la Qâdiriyya-Bûdchichiyya qui sélectionnent leurs partisans dans les couches moyennes et aisées de la population. La plupart de ces confréries essaiment dans tout le Maghreb, la Qâdiriyya-Bûdchichiyya rayonne actuellement en Europe et permet la conversion à l’islam de très nombreux jeunes Européens. Retenons que ls maîtres fondateurs des confréries mystiques sont considérés par les fidèles, après leur mort ou de leur vivant, comme de véritables saints investis de pouvoirs extraordinaires, favorisant l'apparition du phénomène de "culte des saints" Maghrébins.

Origine des confréries soufies au Maghreb :

La confrérie des Aïssâwa

La confrérie (tarîqa, litt. « voie ») religieuse des Aïssâwa à été fondée à Meknès au Maroc par Muhammad ben Aïssâ (1465-1526 / 882-933 H.), surnommé le « Maître Parfait » (Chaykh al-Kâmil). Son mausolée est aujourd’hui dans la zâwiya qu’il fit bâtir de son vivant à Meknès, sainte demeure où se recueillent encore aujourd’hui plusieurs dizaines de fidèles au quotidien. Dès le 18ème siècle la confrérie essaime rapidement à travers toute l’Afrique du Nord : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte et jusqu’en Irak. En théorie le réseau confrérique est dirigé depuis la zâwiya-mère de Meknès par les descendants biologiques directs de Muhammad ben Aïssâ.

Le « Maître Parfait »

Muhammad Ben Aïssâ reste pour nous un personnage quelque peu mystérieux et crépusculaire. On ne sait aujourd’hui que peu de chose de son existence historique bien que sa réputation et la place qu’il occupe en tant que maître spirituel dans son siècle restent malgré tout jusqu’à aujourd’hui fortement marquées. Sa vie est entourée d’une multitude de récits hagiographiques, où elle apparaît comme morcelée en fragments auxquels les récits hagiographiques investissent de nouvelles qualités : protecteur des faibles, thérapeute, magicien, savant et ascète sévère. Son origine ethnique reste indéterminée et trois versions se proposent à nous selon les sources orales ou manuscrites : originaire de la tribu des Awlâd Abî Sbaâ (Souss, sud-ouest du Maroc) pour les uns, de la tribu des Mokhtâr du Rarb (nord-ouest) ou du Tafilalet (sud-est) pour les autres. A l’inverse, sa généalogie chérifienne s’avère attestée par de nombreux décrets sultanien : Muhammad ben Aïssâ serait un descendant du Prophète par la branche Idrissite. Au niveau doctrinal, Muhammad ben Aïssâ fut initié à la mystique par trois maîtres de la tarîqa Châdiliyya / Jazûliyya : il s’agit de ‘Abbâs Ahmad al-Hâritî (Meknès), Muhammad ‘Abd al-‘Azîz at-Tabbâ’ (Marrakech) et Muhammad as-Saghîr as-Sahlî (Fès). Certains de ses premiers disciples, principalement ceux originaires de la région du Rarb, sont décrits dans les récits hagiographiques comme des saints thaumaturges. Abû ar-Rawâyil, le disciple préféré du maître, jouit d’une aura particulière. Il nous est présenté à la fois comme un septique et le successeur du chaykh à la tête de la confrérie.

Les successeurs du « Maître Parfait »

Depuis le 15ème siècle et jusqu’à aujourd’hui, la succession du fondateur à la tête de la confrérie est volontairement restreinte à un lignage privilégié choisit parmi sa descendance biologique. Le rôle actuel se limite principalement à la gestion des biens fonciers et matériels de l’ordre. Le tableau suivant nous aide à comprendre cette idée de lignage choisi.

Lignage des dirigeants de la confrérie des Aïssâwa de sa fondation à aujourd'hui :

Actuellement les dirigeants de la confrérie se divisent en quatre groupes aux fonctions distinctes :

1. Le surintendant (al-mezwâr) : il gère l’administratif et le patrimoine immobilier et délègue la gestion spirituelle de la confrérie à « L' assemblée ». Le mezwâr actuel a été nommé en 1996 par le roi Hasan 2 par le biais du ministère des Habous et Affaires Islamiques : il s'agit de Sidi 'Allal Aïssâwî.

Sidi 'Allal Aïssâwî, surintendant (al-mezwâr) de la confrérie des Aïssâwa depuis 1996.

2. « L' assemblée » (al-lajna) : il s'agit de sept personnes qui accueillent les fidèles dans la zâwiya et s’occupent de la direction spirituelle de l'ordre. Choisis et nommés par le mezwâr, ceux-ci sont actuellement Moulay Idriss ben Kâmil, Sîdî Muhammad ben Kâmil, Sîdî Muhammad ben Ahmed, Sîdî Muhammad ben Moussa, Sîdî Ilal ben Muhammad Tayek, Sîdî Hassan ben ‘Abdelmâlik, Sîdî Hicham ben bû Mehdi.

« L' assemblée » (al-lajna) de la confrérie des Aïssâwa à la tête de la direction spirituelle.

3. Le « délégué » (al-muqaddem) : il dirige les récitations spirituelles des disciples dans la zâwiya. Choisit par les membres de l'assemblée, c'est Sidi Bû Mehdi (à gauche sur la photographie ci-dessus).

4. Les « auxiliaires » : il s'agit d'une dizaine de jeunes héritiers qui accueillent les fidèles dans la zâwiya.

Pour conclure, rappellons que depuis l'avenement de la dynastie Alawite (17ème sicèle), l’existence institutionnelle des confréries soufies au Maroc est soumise à la politique du Palais Royal qui mène des stratégies d’assujettissement et de contrôle des familles chérifiennes influentes, et ceci afin de palier à de probables oppositions politiques de type religieux. Depuis l’époque du sultan Moulay Ismail et jusqu'à aujourd'hui, la force et le pouvoir de la confrérie des Aïssâwa reste liés à la force matérielle et symbolique de l’état Alawite.

Mehdi Nabti